Rencontre sous la Tour

Cette planète s’étendait en campagne de tous côtés : il y avait bien quelques champs qui marquaient la présence d’une civilisation, mais autrement tout le paysage se formait en forêts, en montagnes lointaines ou en vallons verdoyants. C’est pourquoi la présence de cette flèche était si remarquable : fine droite, anguleuse, technologique, elle ne fendait l’air comme rien au monde. C’était la Tour. Semblable à celle d’Atlantis, dotée de la même élégance du même raffinement. Elle avait pour effet de frapper tous les passants qui n’étaient pas des habitués de la planète.

Ce matin-là, sa beauté ne faisait pas exception. Le soleil qui se levait au sud-est jetait encore ses doux rayons d’aurore et la tour semblait les retenir comme si elle s’en nourrissait. C’est pourquoi elle attira autant l’homme qui marchait sur le sentier du village le plus proche de la porte. Il s’était assis sur une simple roche, avait tiré un carnet de son sac de toile et commençait à composer dessus avec un crayon de charbon une esquisse.

Il recopia les volumes, les ombres, les formes si étranges, si lointaines et pourtant si encrées dans pégase. Il ne se souciait ni du bruit des arbres qui le berçaient doucement, ni du chant des oiseaux qui s’étaient éveillés avec la nature, ni même de ces bruits lointains de paroles qui émanaient du village. L’homme tâchait pour l’instant de ne pas perdre une miette du spectacle.

C'est donc tout naturellement qu'il ignora ces bruissement de pas sur le chemin qui longeait son rocher.

Depuis un moment il fallait être honnête, les contrats se faisaient de plus en plus rares. La raison ? Les Atlantes étaient toujours les premiers arrivés pour régler les problème de manière pacifique et sans aucun blessé (ou presque). Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’en agissant de la sorte, ils privaient certaines personnes de leur travail, qui consistait à régler leur compte aux gêneurs, de manière pour le moins radicale. Et, malheureusement pour elle, Eileen faisait partie de ces gens. Chasseuse de primes qu’elle était. Et, plus d’une fois, on avait demandé après elle pour un service, et plus d’une fois, les Atlantes avaient réglés le problème à leur manière, rendant ainsi la jeune femme inutile et obsolète auprès de ses clients. Comment pouvait-elle gagner son argent si on ne la laissait pas bosser tranquillement ?

Heureusement pour elle, la chasseuse de tête avait accumulé assez d’argent pour vivre de manière confortable pendant un moment encore. Le seul problème qu’elle avait avec ce style de vie, était qu’elle ne supportait pas l’inactivité. A l’heure actuelle, elle se promenait de planète en planète, dans le but de trouver ne serait-ce qu’un simple travail rémunéré. Mais pour le moment, elle avait fait chou blanc tout au long de sa quête.

Elle était arrivée sur une planète ou elle avait déjà eu l’occasion de travailler. Et, pour être honnête, si elle venait là aujourd’hui, c’était pour ‘se détendre’ et oublier la pénurie de travail. De toute manière, Eldred, le chef de ces paysans avait insisté sur le fait que depuis le passage des Atlantes, plus aucun problème véritable n’était venu des habitants de ‘la Tour’. Sans doute avait-il raison.Dès qu’elle en aurait assez, elle irait chercher ailleurs, et peut-être que la chance lui sourira. En attendant, elle était passée rapidement dans sa chambre à l’auberge, et y avait déposé quelques affaires, et en en récupérant d’autres. Eileen en profita pour se changer, et pour enfiler sa tenue blanche, confortable pour marcher en toute tranquillité. Sa tenue était des plus simple et des plus sobre. Un pantalon en tissu synthétique, des bottes de la même couleur, et un haut assorti au bas, qui laissait son nombril à découvert, le tout acheté sur la planète Arkany, lieu de rendez-vous de la plupart des chasseurs de primes. A sa ceinture, son étui pendait, et n’attendait que son revolver à énergie. Elle le glissa dedans, et, fin prête, elle sortit, en s’assurant de fermer correctement sa chambre. Même si elle savait qu’elle n’en aurait certainement pas besoin ici, elle se sentait plus en sécurité quand elle était armée.

En sortant de l’auberge, elle emprunta un petit chemin terreux qui menait à l’extérieur du village, et qui passait devant la flèche majestueuse qui émergeait de la terre. En la voyant s’élever de la sorte au dessus des arbres, la jeune femme se demanda depuis combien de temps elle pouvait être là… Et surtout, qui étaient ses bâtisseurs ? Car il était évident qu’il ne s’agissait pas de ces snobs qui vivaient à l’intérieur.

Au détour d’un autre chemin, elle aperçut un jeune homme assis tout contre un rocher. Il tenait un carnet dans ses mains, griffonnait dessus, et semblait être en pleine concentration. Curieuse, elle s’approcha, et s’arrêta à son niveau pour voir ce qu’il faisait. Bon, on lui avait déjà dit, que la curiosité était un vilain défaut, mais elle était comme ça, et ne pouvait s’empêcher d’aller voir tout ce qui l’intéressait. Quand elle vit l’œuvre, elle ne put s’empêcher de lâcher un :

« Ouah c’est… Super ! »

S'il y avait une chose à laquelle l'homme en question ne s'attendait pas c'était peut-être d'entendre un franc et direct ...
"Ouah, c'est... Super !"
... surgir de derrière son épaule.

Il laissa son crayon tomber sous l'effet de la surprise. Sa tête se tourna vivement vers la personne qui avait osé le faire sursauter : son visage était beau, les lèvres charnues d'une femme, des yeux bruns mystérieux, ... Ce qu'il vit lui plut assez. Mais comme il avait toujours entendu dire de son père quand celui-ci se fâchait avec sa mère : "Méfie- toi des femmes mon fils ! Et surtout quand elles sont belles !"
Elle avait serré son corps, ses jambes, son buste dans une tenue blanche qui avait pour avantage de ne pas cacher les siens. Cette femme était vraiment attirante, mais la séduire ne vint pas à l'esprit de l'homme qui se contenta de l'observer puis de déclarer avec réalisme et modestie :

- Ce n'est pas à moi que revient le mérite de ce qui est beau dans ce dessin.

Il jeta un coup d'oeil à son dessin qui était presque fini, mais ne prit pas la peine d'achever les coups de crayon. Il referma son carnet aux pages d'un papier impur, le glissa dans son sac et se leva doucement sans la quitter des yeux. Profitant d'avoir quitté son rocher, sa main se tendit vers le sol pour happer son crayon de charbon parmi les feuilles mortes et les racines.

- Orthan. Enchanté ! Déclara-t-il avec un visage aimable en lui présentant un main, acceptant qu'elle accepte d'y mettre la sienne pour qu'il puisse l'embrasser.

Orthan, car c'est ainsi qu'il s'appelait, avait étiré ses lèvres en un sourire fin et lui présentait un visage d'un certain charme, avec des yeux bleus dans lesquels on aurait pu se noyer contrastant avec les mèches d'un brun sombres qui balayaient son visage. Son parfum était celui du cuir, sa peau était un peu tannée par le soleil, sa démarche élégante mais peu assurée lui donnait l'air d'une personne de confiance.